Extrait de « Bienvenue à Oakland » de Eric Miles Williamson

par Hugues

Moi je suis pas de ces tapettes qui boivent du vin et mangent des sushis, qui se battent  pour des causes dont il ne savent absolument rien – ils se disent féministes, bon Dieu ! – et portent des pompes de sécurité parce que c’est « branché », alors qu’elles ont jamais vu la couleur du béton ou du bitume brûlant, qui s’achètent des jeans délavés et déchirés ou boivent de la Bud parce que c’est cool, et parce que c’est tout ce qu’ils peuvent se payer. Rien à voir avec ces types dans les cafés, qui se donnent l’air d’avoir quelque chose d’important à écrire dans leurs cahiers, habillés tout en noir parce que ça les rend cool et pas parce que tes fringues de travail Ben Davis, si elles sont noires, c’est parce que les taches, sur le noir, ça se voit pas. 

Ce livre ne raconte pas comment j’ai surmonté l’adversité ou lutté contre mon environnement, parce que j’aime et que j’ai toujours aimé mon milieu – sauf la fois où j’ai fais le snob en épousant une fille des quartiers résidentiels. Ce livre parle des gens qui travaillent pour gagner leur vie, les gens qui se salissent et ne seront jamais propres, les gens qui se lavent les mains à la térébenthine, au solvant, ou à l’eau de Javel  et se récurent tellement souvent la peau avec des produits chimiques qu’elle se dessèche et brille comme du cuir tanné – quand ils pèlent comme un serpent qui mue, en dessous, il reste encore de la graisse, de l’huile, et de la crasse, imprégnées jusqu’à l’os. Pour toi, ce sont des personnages, pour moi, c’est la famille, c’est ceux avec qui j’ai grandi. C’est mon père qui a retapé des pneus de camions jusqu’à en crever; c’est mon frère, qui s’est fait tuer par un gang mexicain dans les rues d’Oakland ; c’est mon autre frère, mort, éclaté sur un lampadaire après une nuit de biture ; c’est les types avec qui je bossais sur les chantiers, morts par douzaines dans des accidents débiles dont il n’étaient pas responsables ; c’est les Hell’s Angels, qui m’ont élevé et m’ont fait une fiesta d’enfer à Oakland dans le bar-restau de chez Dick, après la parution de la première partie de cette histoire, avec un videur devant la porte pour empêcher les non-fumeurs d’entrer – ce jour-là, les mecs m’ont raconté des détails sordides que j’avais oubliés ou dont  je n’avais jamais entendu parler, ou alors que j’avais négligé de coucher noir sur blanc de peur qu’ils ne s’en trouvent pas flattés, alors qu’en fait, si, ils l’auraient été.